Travaux de séminaire BA et MA et travail de MA
Dans les pages qui suivent, vous trouverez des conseils qui portent sur la rédaction des travaux écrits. Ces conseils devraient vous donner une idée de ce qui est attendu de votre part dans le cadre de la rédaction de ces travaux. Cependant, si ces quelques remarques peuvent paraître directives, il ne s’agit toutefois pas de règles gravées dans le marbre que vous devez suivre de manière stricte et bornée. Au contraire, voyez-les plutôt comme un guide qui cherche à vous éviter quelques pièges. Libre à vous de prendre de la distance avec le modèle présenté ci-dessous et de trouver votre propre style philosophique, à condition bien sûr que celui-ci soit à même de répondre – avec une efficacité au moins égale – aux attentes formulées ci-dessous. Ainsi, tenir compte de ce qui suit pourrait s’avérer utile, particulièrement si vous débutez vos études.
La rédaction d’un travail de séminaire se déroule en trois étapes. La première précède la rédaction, la deuxième est constituée par la rédaction, la troisième a lieu une fois la rédaction terminée.
1. Avant la rédaction
La rédaction représente sans aucun doute une étape importante du travail philosophique. Néanmoins, pour que celle-ci atteigne les standards de pertinence et de cohérence requis par la philosophie, il est nécessaire de fournir en amont un travail important. Votre première tâche consiste à identifier un phénomène philosophique particulier qui attire votre attention et à le faire valider par votre correcteur. Une fois ce phénomène identifié, il vous incombe de vous familiariser avec lui au travers de la littérature mais également par vous-même, en y appliquant vos propres intuitions et réflexions.
Cette première étape constitue un moment crucial lors duquel vous devez mettre en pratique les compétences acquises lors des proséminaires. Vous commencerez par établir une bibliographie et vous en extrairez ensuite différentes thèses et arguments que vous aurez pris soin de reconstruire de manière aussi détaillée que possible. (Pour un séminaire de BA, un à deux arguments sont suffisants. Pour un séminaire de MA, un peu plus d’ampleur est attendue. Pour un travail de MA, finalement, la présentation et la critique de plusieurs arguments est nécessaire.)
Ne vous affolez pas si vous avez l’impression que cette première étape s’éternise et de voir ainsi le moment de la rédaction différé. Plus la littérature vous sera familière, moins la rédaction sera douloureuse. Néanmoins, rappelez-vous que votre tâche n’est ni de faire avancer la recherche ni d’accéder à une connaissance exhaustive du sujet. Apprenez à gérer votre temps: préparez suffisamment la rédaction sans toutefois vous perdre dans cette première étape.
Une fois la préparation terminée, il est désormais temps de songer à la rédaction. Cependant, avant d’entamer le processus d’écriture à proprement parler, il vous reste encore deux petites étapes préliminaires.
La première consiste à vous interroger sur l’identité de votre destinataire. En effet, il est important que vous ayez en tête le type de lecteur pour lequel votre travail doit être rédigé. La difficulté réside ici dans le fait que ce lecteur et votre correcteur ne sont pas nécessairement identiques. Au contraire, un travail de séminaire, respectivement un travail de MA, a pour but non seulement l’évaluation de vos connaissances philosophiques, mais également l’évaluation de votre capacité à les transmettre et à en débattre de manière accessible. Pour que ces trois objectifs soient réalisés, il s’avère donc indispensable que vous ayez en tête un lecteur philosophiquement peu sophistiqué et, par conséquent, que vous soyez à même d’expliquer à tout moment ce que vous êtes en train de faire et pourquoi vous le faites – et le tout dans des termes aussi simples et clairs que possible. Par ailleurs, le caractère abstrait du vocabulaire philosophique peut parfois servir à donner l’illusion qu’un problème et ses enjeux sont saisis. Ne vous laissez pas avoir par cette illusion et questionnez constamment votre compréhension des termes techniques. Au besoin, explicitez-les et reformulez-les dans vos propres termes. D’une manière générale, tenez-vous en à la règle qui veut que tout nouveau terme technique introduit doit être préalablement défini.
La deuxième consiste à réfléchir à la manière dont vous voulez concrétiser votre travail et à esquisser un plan. Quel type de travail voulez-vous écrire ? Sous quelle forme ? Dans le but de soutenir quelle thèse ? Faites plusieurs essais, trouvez votre ligne et, surtout, ne voyez pas trop grand. Mieux vaut un travail aux ambitions réduites mené à bien qu’un travail trop ambitieux qui se trouve au final être confus et forcément incomplet.
A la fin de cette première étape, vous devriez vous retrouvez en possession des éléments suivants :
- un phénomène philosophique que vous vous proposez d’examiner;
- une bibliographie suffisante relative au phénomène;
- une série de thèses et d’arguments.
- une idée claire de votre destinataire;
- une esquisse de plan.
2. Pendant la rédaction
Une fois la première étape menée à bien, vous pouvez maintenant entamer le processus de rédaction. Celui-ci se déroule (au minimum) en six étapes qui, dans l’idéal, devraient correspondre à autant de parties distinctes de votre travail.
2.1 La première étape consiste en l’identification et la description du phénomène que vous vous proposez de traiter. Il peut s’avérer utile d’illustrer ce dernier par des exemples, mais il peut tout aussi bien être décrit de manière générale. Toutefois, il est important de ne pas surcharger la description de détails trop précis et encore inutiles à ce stade du travail. Veillez aussi à présenter le problème de manière aussi neutre que possible. Pensez à votre liste d’arguments et essayez de trouver une formulation qui convienne aux différentes approches dont vous avez préalablement pris connaissance.
2.2 Une fois le phénomène identifié et succintement décrit, une deuxième phase peut débuter. Il s’agit maintenant de clarifier quelles sont les implications philosophiques du phénomène et de formuler une question à caractère philosophique qui doit donner au travail son but et lui servir de fil conducteur. Cette question doit être posée au début du travail et, dans la mesure du possible, des éléments de réponses doivent être amenés dans la conclusion. Un travail clairement structuré possède donc, pour ainsi dire, une porte d’entrée et une porte de sortie.
Avant de formuler la question proprement dite, il s’avère néanmoins nécessaire de répondre à quelques questions préliminaires du type: A quelle question philosophique se rapporte le problème décrit ? Et de quelle manière ? A ce stade, essayez cependant de formuler votre question de manière aussi indépendante que possible du débat philosophique auquel la question se rattache – évitez les référence à un philosophe, respectivement à une théorie philosophique; employez autant que possible un vocabulaire philosophiquement neutre ; etc. Si d’aventure vous deviez déjà employer à ce stade des termes techniques (ils sont parfois inévitables, surtout en philosophie), n’oubliez pas de les définir immédiatemment. D’une manière générale, pensez à votre destinataire et à ce que vous pensez pouvoir présupposer comme lui étant connu. Dans le cadre de la formulation, il peut également être utile de bien délimiter votre question en la distinguant d’autres qui lui sont apparentées mais néanmoins distinctes. Quant à la formulation proprement dite, finalement, les questions philosophiques peuvent revêtir différentes formes. Certaines se présentent sous la forme d’un paradoxe, d’autres font appel à nos intuitions, alors que d’autres encore invoquent simplement le besoin d’expliquer le phénomène concerné. A vous de choisir ici le type de formulation qui convient le mieux à votre problème.
2.3 Une fois le problème clairement identifié et décrit, et la question philosophique clairement posée, une troisième phase peut débuter. Elle consiste principalement à rendre explicite la méthodologie qui sera employée pour répondre à la question. Premièrement, vous devez vous demander et, si nécessaire, préciser pourquoi et dans quelle mesure il s’agit d’une question proprement philosophique et non d’une question logico-formelle ou empirique. Afin de rendre la méthodologie claire, il est utile de fournir à cet endroit le plan du travail. Notez que si le plan est suffisamment détaillé, une présentation explicite de la méthodologie peut s’avérer superflue. Il est toutefois nécessaire de préciser pourquoi et comment la question peut et doit être traitée.
2.4 Alors que les trois points précédents avaient pour but d’introduire et de clarifier un phénomène que vous vous proposez d’analyer, le moment est venu, dans la quatrième phase, d’apporter une ou plusieurs réponses possibles à la question posée. Dans le cadre d’un travail de séminaire BA, le développement d’une seule réponse suffit. Dans le cadre d’un séminaire MA, au moins deux réponses possibles sont attendues. Dans le cadre d’un travail de MA, finalement, il est impératif d’examiner plusieurs réponses.
Votre tâche consiste à identifier et à résumer les différents mouvements argumentatifs d’un texte. Néanmoins, il s’agit pour vous bel et bien de reconstruire et non pas simplement de répéter ce que dit l’auteur. En d’autres termes, vous devez être capable de reformuler dans vos propres mots quelles sont les thèses et arguments principaux présents dans le texte ainsi que les relations qu’ils entretiennent avec votre question. Si vous examinez plusieurs positions, prenez soin d’indiquer clairement ce qui les distingue les unes des autres. Ce conseil vaut aussi bien pour les thèses que pour leurs arguments respectifs. Vous constaterez ici que plus la période de pré-rédaction aura été fructueuse, moins cette tâche vous paraîtra ardue.
La principale difficulté que vous rencontrerez ici réside dans la nécessité d’arrêter au bon moment la machine philosophique. En termes moins métaphoriques, vous devrez être capable d’identifier dans la littérature ce qui est pertinent pour votre question et de laisser de côté ce qui est superflu. Lors de ce processus de tri, n’oubliez cependant pas que certains éléments de l’argumentation, s’il ne doivent pas être traités exhaustivement, nécessitent néanmoins d’être mentionnés. Ainsi, s’il ne vous est pas demandé de « déplier » tous les présupposés d’un argument, vous devez néanmoins être capable de vous appuyez sur des formules telles que : « Par la suite, je présupposerai que… », « Dans la mesure où ce point n’est pas central pour mon travail, il sera présupposé que… » ou encore « Dans la mesure où il s’agit là d’une thèse généralement acceptée, il sera présupposé que… ».
Lorsque vous examinez plusieurs réponses, il est impératif que vous soyez capable de mettre entre parenthèses vos inclinations personnelles et de donner le même poids à chaque réponse possible. Chaque position examinée doit être présentée de manière à ce qu’elle apparaîsse aussi solide et convaincante que possible. Ainsi, ce que vous vous proposez de dire doit non seulement toujours être compréhensible, mais également plausible. Si la position que vous présentez ne l’est pas, il vous incombe alors de répondre à la question de savoir pourquoi il est néanmoins profitable de l’examiner.
Lors de la présentation d’une thèse, respectivement d’un argument, vous devez vous référer fréquemment au texte. Il ne s’agit la pas simplement d’une exigence d’honnêteté intellectuelle, mais également de permettre à votre correcteur de pouvoir identifier rapidement la source de vos propos. Lorsque vous intégrez une citation, la manière dont vous la comprenez ainsi que vos raisons pour soutenir une telle interprétation doivent toujours être explicitées. D’une manière générale, toutes les citations et les indications bibliographiques qui apparaissent dans le corps de texte ainsi que dans les notes de bas de pages doivent toujours correspondre à ce que vous venez de dire.
2.5 Dans la cinquième phase du travail, vous devez examiner de manière critique les solutions proposées dans la phase précédente. Cela signifie, premièrement, que la cohérence et la validité des différentes arguments proposés doivent être vérifiées. Par exemple, les prémisses soutiennent-elles vraiment la thèse ? Les différents arguments d’un même texte sont-ils compatibles les uns avec les autres ? Les exemples illustrent-ils les thèses de manière appropriée ? Bien souvent, il s’agit principalement de questionner et de rendre explicites des prémisses que l’auteur aurait employé de manière implicite. Peut-on trouver des arguments qui parlent en défaveur de la thèse examinée ? La thèse peut-elle refuter ces objections ? Peut-on trouver des contre-exemples flagrants ? D’une manière générale, lorsque vous formulez des objections ou donnez des exemples, ayez toujours en tête ce que votre opposant pourrait ou devrait vous répondre. La capacité d’anticiper les réponses de son adversaire et être capable de les désamorcer à temps constituent une grande part de la réussite du travail philosophique.
2.6 Dans la sixième partie, finalement, vous devez vous demander où vous vous situez maintenant dans le débat. Après l’examen critique de la position, faut-il l’approuver ou faut-il au contraire la rejeter ? Avez-vous encore d’autres arguments à ajouter ? Avez-vous un propre point de vue ? Dans le cadre d’un travail de séminaire BA, cette partie peut rester à l’état d’esquisse. Dans le cadre d’un séminaire de MA, elle doit naturellement être plus systématique. Dans le cadre d’un travail de MA, finalement, elle doit être plus fournie et devient par la suite centrale dans le cadre d’une thèse de doctorat.
Au contraire d’une thèse, un travail de MA (et a fortiori tout travail de séminaire) ne doit pas forcément être original et n’exige pas une connaissance exhaustive de la littérature. Il ne doit pas avoir pour but de faire avancer la recherche, mais doit démontrer que, dans le cas hypothétique où vous posséderiez une connaissance exhaustive de la littérature, vous seriez en mesure de le faire. Le travail recevra au minimum la note 5 (magna) si la présence de ces qualités est constatée. Les notes entre 4 et 5 signifient que l’acquisition de ces capacités est encore en cours. En dessous de 4, la note signifie que vous êtes sur le mauvais chemin. Plus d’informations sur les notes sont disponibles ici.
3. Après la rédaction
Une fois la rédaction terminée, le plus gros du travail est accompli. Néanmoins, n’oubliez pas qu’une fois votre travail achevé, ce que vous avez maintenant en mains constitue seulement une première version de votre travail. Différentes améliorations tant au niveau du contenu et de la structure que du style et de l’orthographe sont toujours possibles. Ainsi, prévoyez suffisamment de temps pour vous relire. Néanmoins, ne vous fixez pas comme objectif de remettre à votre correcteur une version absolument définitive. La perfection n’est que très rarement atteignable et une part importante de l’exercice de rédaction consiste à être capable de mettre fin à son travail au moment opportun.
N’oubliez pas : Les travaux écrits figurent au centre de vos études en philosophie. Au travers de l’écriture, vous apprenez à exprimer vos pensées. L’objectif principal de l’exercice consiste à exprimer ces pensées de manière toujours plus précise, plus riche et plus convaincante. Vous acquérez donc ainsi pas seulement des connaissances passives sur la philosophie et son histoire mais également, et particulièrement, la capacité de prendre part aux débats contemporains avec votre propre voix, ne serait-ce que pas à pas. De plus, en apprenant à exprimer toujours plus clairement vos vues, vous mettez en pratique cet exercice typiquement philosophique que représente l’approfondissement de la connaissance de soi.
Gianfranco Soldati & Patrik Engisch, avril 2011